Dans le terrier du lapin blanc
J’ai pris le train avec le cœur léger, soulevé par la foi.
Heureuse de décrocher du boulot et de quitter Métropolis, heureuse d’aller
boire un café avec Messiaen, heureuse de retrouver les bras de Jean De pour 48h
pleines.
Mais à peine ai-je passé le pas de sa porte, que le voile de l’illusion est
aussitôt tombé. Ce tressaillement de bonheur n’était qu’un tressaillement, en
rien une promesse. J’ai ri, Jean De s’est vexé pour un rien, et nous avons
recommencé à nous balancer des piques. Nous avons malgré tout fait l’amour avant
de rejoindre Messiaen. Naïvement, j’ai eu l’impression que nous avions passé un
agréable moment tous les trois, car ils ont discuté d’une multitude de choses
auxquelles je n’entendais rien. En réalité, Jean De m’en a un peu voulu de l’obliger
à infléchir son programme pour voir une personne dont la posture éthique et les
goûts musicaux se trouvent à l’opposé des siens.
Bien que la soirée soit déjà entamée, Jean De s’est résolu à m’emmener dans le
nouveau lupanar que je lui avais demandé de chercher. Je n’avais pas envie de
retrouver des lieux déjà connus, associés à une expérience forte, mais à des
sentiments très mitigés.
J’ai été agréablement surprise par la décoration orientale et la configuration
des lieux, moins labyrinthique que dans les autres lupanars que nous avons déjà
essayés. Mais tout au fond de moi, je n’avais pas envie d’être là. Ce lieu, ces
gens, ces couples en chasse, qui rôdent autour des alcôves… tout me semblait d’une
vulgarité sans fond, d’une grande violence. Cela heurtait quelque chose en moi.
Une partie souple, sensible, candide, douce. Je me suis refermée comme une
enfant, m’attirant les réprobations de Jean De qui ne comprenait pas cet excès
de timidité.
Nous l’avons fait avec un couple. Bof. Je n’ai pas retrouvé la merveilleuse
complicité qui m’avait liée à celle qui restera dans mon cœur « la fille
de Saint-M ». Après cette expérience très moyenne, j’étais tombée
suffisamment bas pour ne plus rien avoir à perdre. Je n’ai donc pas hésité très
longtemps lorsque Jean De m’a encouragée à choisir un garçon. J’ai pris celui
que je trouvais le plus mignon. Jeune, grand, mince, joli visage, peau très
douce. J’ai pris un plaisir fou (et assez malsain, je dois l’avouer) à l’embrasser
et à le serrer contre moi. Je me sentais plus avec lui qu’avec Jean De. Cette
fois, oui, cette fois, j’ai vraiment eu l’impression de le tromper ouvertement.
Prendre du plaisir avec un autre m’a soudain détachée de lui, comme si le lien qui
nous unissait perdait soudain de son évidence, comme si son joug se desserrait.
A présent, je me pose une question : si ce n’est pas la fidélité, si ce n’est
pas le plaisir, si ce n’est pas la complicité, ni le soutien moral, qu’est-ce
qui peut bien faire tenir un couple ensemble ? A l’heure actuelle, je n’ai
plus de réponse.
Je suis en train de faire la très curieuse expérience de l’absence de
dépendance évidente au sein d’un couple.